Hommage à Jean PETIT
Détails sur le livre : L’immersion, une revolution Limmersion linguistique
L’acquisition précoce de deux langues est possible pour tous les enfants
par le Professeur Jean PETIT, psycholinguiste, Universités de Reims et de Constance
Les familles patriciennes de l’ancienne Rome savaient bien comment faire de leurs enfants de parfaits bilingues grec-latin. Comme Horace nous l’explique, elles les confiaient dès leur naissance à une nourrice grecque qui ne s’entretenait avec eux que dans cette langue. Lorsqu’ils étaient ensuite remis à leur précepteur, vers l’âge de huit ans, ils avaient donc acquis le latin et le grec par voie naturelle. L’enseignement qui leur était dispensé se déroulait alors dans les deux langues : il comportait, outre l’introduction de la lecture et de l’écriture, l’étude des règles de grammaire qui donnaient lieu à de nombreux exercices d’application, l’apprentissage par cœur de listes de vocabulaire militaire, commercial ou administratif et enfin de nombreuses traductions orales et écrites du latin en grec et du grec en latin. Mais ces techniques étaient alors utilisées dans le but pour lequel elles avaient été mises au point. Il s’agissait de préparer ces jeunes Romains aux tâches de responsabilité et d’interprétariat auxquelles leur extraction les prédestinait dans le cadre militaire ou civil. L’objectif visé n’était donc non pas d’acquérir, mais d’approfondir consciemment deux langues apprises préalablement et oralement par voie naturelle et intuitive.
Ce fut malheureusement à ces mêmes techniques que l’on eut recours, à partir du Moyen Âge, pour enseigner le latin qui devenait peu à peu une langue morte. Insensiblement et progressivement elles furent ainsi investies d’une mission qui n’était pas la leur à l’origine : celle de faire acquérir une langue non apprise antérieurement. Elles aboutirent alors à un échec, régulièrement constaté dans le monde médiéval déjà. Les clercs et les laïcs formés de la sorte se révélaient incapables de comprendre et de parler la langue cible qui était la langue cultivée, la langue d’église et la langue de communication de l’époque. Ils devaient alors effectuer cet apprentissage postérieurement à l’enseignement et sur le tas, dans les débats, rencontres ou conciles.
Ces techniques didactiques dévoyées furent transmises en héritage à l’enseignement des langues vivantes (français, allemand, anglais, italien, espagnol) lorsque celles-ci firent leur apparition et réduisirent peu à peu le latin au statut de langue morte. À cette occasion, ces techniques ne perdirent rien de leurs incontestables vertus intellectuelles, mais elles n’en devinrent pas pour autant des techniques d’acquisition linguistique et leur inefficience fut très vite et très régulièrement constatée dans ce domaine de l’enseignement des langues vivantes, après avoir été constatée dans celui de l’enseignement des langues mortes. Les apprenants ainsi traités ne parviennent pas à la compétence de communication qui est progressivement devenue l’objectif principal de l’enseignement des langues par suite de l’intensification des moyens de transport et de la multiplication des contacts entre les peuples.
À côté de son exploitation permanente et instinctive pour l’apprentissage de la langue maternelle, la faculté d’acquisition naturelle n’a toutefois jamais cessé d’être également utilisée pour l’accession délibérée au bilinguisme. Mais cette utilisation resta longtemps marginale et exceptionnelle.
C’est en 1689, soit cinq ans après la révocation de l’édit de Nantes, que les huguenots français qui avaient répondu à l’invitation du roi de Prusse et étaient venus s’installer à Berlin, fondèrent dans cette ville le Collège français. Ce collège, qui a résisté à toutes les tempêtes de l’histoire, est devenu aujourd’hui le Lycée français de Berlin. Sa mission fut, au départ, d’assurer la survie du français et sa transmission aux enfants des familles huguenotes immigrées. Mais l’on vit s’adjoindre progressivement à ces élèves les enfants de familles germanophones, désireuses d’élever leurs progéniture dans le bilinguisme allemand-français. Rappelons que le français était alors en Europe, notamment en Russie, en Pologne et en Prusse une langue de prestige. L’acquisition du français par l’enseignement en français s’institua ainsi progressivement, sans réflexion didactique ou psycholinguistique préalable. Il s’agissait d’immersion avant la lettre.
C’est seulement trois siècles plus tard que la formule d’apprentissage linguistique par immersion précoce a véritablement vu le jour en tant que démarche didactique réfléchie et délibérée. C’est à l’initiative de l’infatigable Jean-Marie Bressand, fondateur du Monde Bilingue, que les villes de Luchon (Pyrénées françaises) et d’Harrogate (Yorkshire) en 1951, puis celles d’Arles (Provence) et York (Pensylvanie) en 1953 échangèrent leurs institutrices. La formule connut un réel essor en 1964 dans l’Académie de Bordeaux, sous l’impulsion d’Alice Delaunay, Inspectrice Générale des écoles maternelles. À la fin des années 60, le nombre de ces classes maternelles immersives atteignait 800. La langue ciblée, outre le français, était le plus souvent l’allemand, plus rarement l’anglais.
Mais le travail de pionnier d’Alice Delaunay (1) se heurta à des difficultés considérables. Il était tout d’abord difficile d’assurer la continuité de l’enseignement dans les écoles maternelles et les écoles primaires qui leur font suite. Il fallait disposer du nombre de natifs nécessaires au moment voulu. Les Inspecteurs Généraux de l’enseignement des langues vivantes se montrèrent indifférents, parfois même hostiles. Il n’en demeure pas moins que les spécialistes objectifs furent impressionnés par les résultats obtenus : “Nos visiteurs [ … ] sont surpris de voir nos jeunes enfants de 5 et 6 ans manipuler le système de déclinaison de l’allemand, qui donne encore des difficultés à nos élèves de seconde, aussi facilement que les formes françaises du passé et du futur” (A. Delaunay, 1973). Le Ministre de l’Éducation de l’époque, Alain Peyrefitte, qui était lui-même germaniste, eut l’occasion de s’entretenir avec ces enfants. Reprenant à son compte le mot célèbre de César : Veni, vidi, vici, il déclara ensuite dans une interview télévisée : “Je n’y croyais pas. Je suis venu, j’ai vu, j’ai cru” .
Un an plus tard, en 1965, la formule immersive fut introduite au Québec dans un jardin d’enfants de Montréal. L’immense mérite du Canada a été de lui accorder un soutien officiel et un appui scientifique universitaire qui a assuré son succès. À partir du Canada, l’immersion s’est aujourd’hui répandue dans de nombreux pays du monde, par exemple en Espagne (Pays basque et Catalogne), en Italie (Val d’Aoste, Tyrol du Sud), en Angleterre (Pays de Galles) et aussi en France.
Elle se fonde sur les constats et principes suivants :
• Le tout jeune enfant est naturellement doté de capacités d’acquisition linguistique exceptionnelles, sur le plan de la phonétique et de la morpho-syntaxe notamment (période dite sensible ou critique).
• Il est nécessaire de recourir à une exposition intense à la langue cible pour activer les stratégies naturelles de l’acquisition, qui sont de type perceptuel (repérages des éléments les plus fréquents et les plus saillants) et ne peuvent donc pas être déclenchées par des dosages homéopathiques.
• La langue à acquérir doit être abordée non pas de façon frontale et grammaticale, mais de façon instrumentale. Le cerveau humain ne s’approprie une langue optimalement qu’en l’empIoyant comme bonne à tout faire, c’est-à-dire en se livrant à toutes sortes d’activités dans la langue et en l’utilisant notamment comme moyen d’acquisition de connaissances. L’enseignement dans la langue a donc le primat sur l’enseignement de la langue. Ce dernier n’est évidemment pas proscrit, mais il n’apparaît et ne se développe pleinement que postérieurement à l’acquisition intuitive par les stratégies naturelles et inconscientes.
À l’heure actuelle, cette éducation bilingue est dispensée en France dans les écoles pré-élémentaires et élémentaires associatives : depuis 30 ans au Pays basque, depuis 23 ans en Roussillon (catalan), depuis 22 ans en Bretagne, depuis 20 ans en Occitanie, depuis 9 ans en Alsace. L’enseignement public français a emboîté le pas depuis 16 ans au Pays basque et en Bretagne, depuis 8 ans en Alsace, depuis 6 ans en Roussillon, depuis 5 ans en Occitanie en ouvrant des classes pré-élémentaires et élémentaires dites bilingues paritaires ou semi-immersives et dans lesquelles l’horaire est réparti, à parts égales, entre le français et la langue régionale (2 et 3).
Des évaluations répétées ont été réalisées au Canada avec toutes les précautions scientifiques possibles. Leurs conclusions ont été confirmées par d’autres évaluations effectuées dans d’autres pays du monde, dont la France. Le bilan de ces évaluations peut être résumé comme suit :
• Les élèves ainsi formés sont non seulement bilingues, mais possèdent en outre une maîtrise de leur première langue maternelle supérieure à celle des sujets monolingues parlant cette langue. Cela s’explique par le travail de comparaison interlinguistique inconscient et conscient qu’ils effectuent en permanence par suite de leur bilingualité.
• La stimulation intellectuelle générale produite par l’utilisation régulière de deux langues rend ces sujets également significativement supérieurs aux monolingues dans le domaine de l’abstraction, du symbolisme, de la souplesse conceptuelle et de la capacité à résoudre les problèmes.
• Les retombées de cette stimulation intellectuelle sont particulièrement impressionnantes dans le domaine des mathématiques.
• L’on constate enfin que ces enfants acquièrent une troisième ou une quatrième langue (anglais compris, si nécessaire) avec facilité et rapidité, même au-delà de la période sensible : en France, il a été établi que ce sont les sujets bilingues français/langue régionale qui obtiennent dans le second degré les meilleurs résultats dans l’étude des langues étrangères.
• Cette forme d’enseignement est aux antipodes de l’élitisme : tout sujet peut accéder au bilinguisme s’il bénéficie d’une immersion en langue régionale et/ou en langue étrangère dès la maternelle (4). L’immersion active en effet les stratégies naturelles de l’acquisition linguistique qui sont données à la naissance à tout être humain normalement constitué et lui permettent d’assimiler dans le jeune âge deux langues maternelles au lieu d’une seule (5).
• Portant l’altérité en eux-mêmes, ces sujets bilingues ont enfin, envers d’autres langues et d’autres cultures, une attitude d’ouverture qui est à l’inverse de la xénophobie.
• Last but not least, un bilinguisme représente un atout considérable dans la recherche d’un emploi, tant sur le marché intérieur que sur le marché international.
À l’heure actuelle, un grand nombre des langues parlées sur la planète sont menacées d’extinction. La Charte européenne des langues minoritaires, promulguée en 1992 par le Conseil de l’Europe et soumise à la signature et à la ratification des États membres du Conseil, a pour but d’assurer la protection et la promotion du patrimoine linguistique européen. La charte a été signée depuis par 18 des 38 États qui constituent le Conseil de l’Europe (Allemagne, Autriche, Croatie, Chypre, Danemark, Finlande, Espagne, Hollande, Hongrie, Lichtenstein, Luxembourg, Macédoine, Malte, Norvège, Roumanie, Slovénie, Suisse, Ukraine). Elle a été ratifiée par 8 d’entre eux (Allemagne, Croatie, Finlande, Hollande, Hongrie, Lichtenstein, Norvège, Suisse).
La France a ignoré cette charte jusqu’en 1996. À partir de cette date, plusieurs tentatives ont été faites en vue d’une signature et d’une ratification. Ces tentatives ont toutes échoué jusqu’ici. Elles se sont heurtées à une clause de l’article II de la constitution. Cette clause stipulant que la langue de la République est le français est de date récente : elle ne fut introduite qu’en 1992 et était destinée à mettre un frein à l’hégémonie de l’anglais, dans le domaine de la recherche scientifique notamment. Le jacobinisme de l’État français a fait que l’intention du législateur a été régulièrement dévoyée par la suite et que la clause a été invoquée à plusieurs reprises par l’administration préfectorale pour pourchasser les langues régionales de France dont la diversité représente pourtant un patrimoine culturel inestimable.
Le gouvernement français semble à l’heure actuelle vouloir octroyer à ces langues régionales de l’Hexagone un droit de cité véritable. L’on ne peut que souhaiter que cette volonté se concrétise rapidement. Elle contribuerait à corriger la fâcheuse réputation d’intolérance linguistique de la France, pourtant patrie des droits de l’homme. Elle contribuerait aussi à détruire un mythe tenace et néfaste : dans l’Hexagone comme à l’étranger, le francophone est réputé ne pas avoir le don des langues (6). Cette opinion s’explique psycho-linguistiquement, mais elle demeure erronée :
Le français standard de langue d’oïl présente des singularités phonétiques très marquées :
• Il a très largement généralisé le schème syllabique consonne + voyelle et ainsi développé une véritable allergie aux accumulations consonantiques, très répandues dans les langues germaniques et slaves, mais aussi représentées, bien qu’à un degré moindre, dans les langues romanes. Au-delà de la période sensible, la reproduction de termes comme l’anglais exchange, l’allemand blitzt, constitue pour le francophone une véritable torture buccale.
• Il accentue régulièrement ses mots sur la dernière syllabe, particularité qualifiée d’oxytonie. Cette option accentuelle est unique en Europe. Les langues de la Germania et de la Romania ainsi que les langues slaves se sont dotées d’un accent mobile, c’est-à-dire pouvant frapper, dans un terme trisyllabique, soit la première, soit la deuxième, soit la troisième syllabe, en fonction du sens. Les langues européennes ayant opté pour un accent fixe, le placent sur l’initiale (hongrois, finnois, tchèque) ou sur l’avant-dernière (polonais).
Le francophone de langue d’oïl, resté monolingue au-delà de la période sensible, éprouve d’immenses difficultés à réaliser l’accentuation mobile des langues germaniques, romanes et slaves ainsi que l’accentuation fixe des langues non oxytoniques.
Si la France veut donc se débarrasser du handicap acquisitionnel résultant de ces hypersingularités, elle ne peut que soutenir les initiatives déjà déployées dans d’autres pays du monde et sur son propre sol pour développer le bilinguisme précoce. Mis dans le jeune âge en contact avec une autre langue que le français standard, qu’elle soit germanique, romane ou slave, régionale ou exogène, le francophone manifeste, pour l’apprentissage ultérieur d’autres langues vivantes, les mêmes aptitudes que tout autre locuteur de la planète.
Une généralisation de cette forme d’enseignement impliquerait certes initialement un certain investissement financier, réduit tout de même du fait que des structures de ce type existent déjà. Mais lorsque le régime de croisière serait atteint, une telle solution n’entraînerait pas davantage de frais que la situation actuelle et l’on accéderait alors au plurilinguisme pour le prix du monolinguisme.
octobre 1999
(1) Alice Delaunay écrivait à Jean-Marie Bressand le 4 novembre 1988 : “ Qu’il paraît loin le temps où nous avons combattu ensemble pour un monde bilingue, où je dirigeais 800 classes bilingues allemand-français, avec suivi assuré à l’école primaire… Je vous trouve bien courageux et je suis de tout cœur avec vous, mais j’ai 88 ans… et je suis épuisée ”.
(2) L’approche linguistique instrumentale, c’est-à-dire l’enseignement de la langue par l’enseignement dans la langue, est également adoptée depuis plus de vingt ans dans l’enseignement secondaire de divers pays du monde et depuis plus de dix ans dans l’enseignement secondaire français lui-même, notamment dans ses sections dites européennes.
(3) l’ISLRF (Institut supérieur des langues de la République française), ouvert à Béziers en juin 1997, a pour tâche la formation des enseignants bilingues des associations immersives Seaska (français-basque), La Bressola (français-catalan), Las Calandretas (français-occitan), Diwan (français-breton), ABCM Zweisprachigkeit (français-alémanique/francique/allemand).
(4) Le bilinguisme ainsi acquis est, dans l’ensemble, resté réservé jusqu’ici aux enfants issus des couches sociales favorisées (outre les familles patriciennes de l’Antiquité déjà évoquées, la famille de Michel de Montaigne – bilinguisme français-latin -, celle de Johann Wolfgang Gœthe – bilinguisme français-allemand -, les grandes familles russes et prussiennes) ou aux enfants des linguistes (Jean Ronjat, Michael Pavlovitch, Werner F. Leopold).
(5) L’acquisition de la langue orale par ces stratégies naturelles est totalement indépendante du Q.I. alors que l’apprentissage de la langue écrite en est par contre tributaire. Quant à l’enseigne-ment traditionnel des langues vivantes, il est, dans ses aspects oraux comme écrits, très intimement corrélé avec le Q.I. du fait de son caractère formel et déductif.
(6) Le bilinguisme français-allemand de l’ancien Ministre des Finances français, Monsieur Dominique Strauss-Kahn ou même son trilinguisme français-allemand-anglais fait pour cette raison l’admiration et… la stupéfaction des observateurs étrangers
à titre de complément : extrait d’une lettre de Jean PETIT à Jean-Marie Bressand, du 20 novembre 2000 :
Je suis psycholinguiste acquisitionnel (Spracherwerbsforscher, language acquisition searcher) et spécialiste du bilinguisme précoce. Après avoir œuvré en France dans l’indifférence générale, je suis depuis une dizaine d’années sollicité de toutes parts dans l’Hexagone : en Alsace, en Roussillon (catalan), à Béziers/Montpellier (occitan), mais aussi au Pays basque et en Bretagne (7).
Ce revirement est vraisemblablement dû, d’une part, à la prise de conscience des inconvénients du monolinguisme et du monoculturalisme francophone par l’opinion publique et, d’autre part, au développement corollaire des classes associatives immersives et des classes publiques semi-immersives à base de langue régionale : basque, catalan, occitan, breton, alémanique/francique/allemand. Les sujets bilingues précoces issus de ces filières n’éprouvent aucune difficulté pour acquérir une troisième langue – l’anglais s’il le faut, mais aussi l’italien, l’espagnol, le russe ou le chinois – à partir du CE2. Leur développement intellectuel est supérieur à celui de sujets monolingues, leur maîtrise du français lui-même est plus poussée, leurs performances en mathématiques sont significativement plus élevées, leur ouverture au monde est plus large puisqu’ils portent l’altérité en eux-mêmes. Tout cela se sait et se dit de plus en plus.
Cette prise de conscience va encore s’accentuer à la suite des mesures révolutionnaires prises par Jack Lang, l’actuel Ministre de l’Éducation Nationale. Ces mesures soulèvent évidemment mon enthousiasme, mais elles suscitent également mon angoisse. Durant des décennies, la France ne s’est en effet pas intéressée aux problèmes de l’acquisition linguistique et les psycholinguistes acquisitionnels dotés d’une compétence théorique et pratique y sont une denrée rare, sinon absente. Je suis un des spécimens de cette espèce peu répandue. Je vais quotidiennement au charbon, mais pas à Paris, et je ne cours pas après les médias. Et je suis pris de panique à l’idée que les sollicitations dont je suis l’objet vont encore s’accroître et que je vais disparaître sans laisser de successeur. La dizaine de thésards venus à moi ont tous renoncé, parfois tout près du but, en prenant conscience que cette branche de recherche n’était pas prisée en France et que l’on n’y faisait pas carrière. Ils ont finalement préféré se diriger vers les études de linguistique pure, de littérature ou de civilisation dans lesquelles les patrons ont pignon sur rue (sur rue parisienne s’entend) et où l’atterrissage en douceur est garanti.
Le message que je voudrais faire parvenir aujourd’hui au Ministre de l’Education Nationale est celui-ci :
Pour mener à bien la révolution culturelle que le Ministre vient de lancer, la France a un besoin aigu d’enseignants de langue dotés d’une compétence de natifs, mais elle a aussi besoin de psycholinguistes acquisitionnels. Il est tout aussi urgent de former les seconds que les premiers et c’est un travail de plusieurs années auquel il faudrait s’atteler dès maintenant.
(7) Il n’y a que la Corse qui ne me demande rien, sachant sans doute que je m’engage pour le bilinguisme (le français standard étant et restant notre langue commune), mais que je me refuse à troquer un monolinguisme contre un autre monolinguisme, c’est-à-dire une indigence contre une autre indigence